Milan offre une belle rupture avec Londres grâce à sa très forte identité : une mode vraiment luxueuse, souvent portable, assumant complètement son côté glamour. Difficile de ne pas remarquer avec quelle constance les italiens cherchent à plaire à travers une mode généreuse et honnête.
Cela étant, le bilan est mitigé pour la belle italienne. Bien sûr, il y aura toujours de bons élèves pour maintenir un haut niveau de virtuosité, se jouant des difficultés techniques en réalisant de superbes pièces. D’autres, encore, explorent de nouveaux espaces, générant de nombreuses interrogations sur la pertinence de leur travail ainsi que la suite à y donner. Enfin, il y a les cancres, ceux qui échouent malgré une indéniable bonne volonté, ou ceux affichant éhontément une incapacité totale voire récurrente à proposer un travail respectable. Tout cela sera exposé en focus, mais avant cela bref coup d’oeil aux tendances et aux défilés emblématiques de Milan. Gentlemen, la Fashion Week de Milan Automne Hiver 2015/16.
En bref…
Le noir serait-il le nouveau noir ? Critiqué, méprisé, renié, il s’offre néanmoins une place de choix dans le paysage stylistique de l’hiver 2016. Neil Barett joue la carte de l’hybridité en transformant, vers le bas, un classique manteau de laine noir en parka de toile kaki, dans un esprit semblable aux « fusions » de vestes formelles et de sweats proposées par Kris Van Assche pour l’hiver 2012/2013. Plus assumé, le noir est partout chez Jil Sander et en particulier sur ce manteau à enfiler caoutchouteux, en cuir contrecollé. Cette triste couleur sombre pourrait être vue comme symbole de deuil, celui d’une marque semblant mourir à petit feu… Pilati semble lui aussi à la peine, se débattant parmi les codes tailleurs de la maison Zegna et ses inspirations personnelles, pas toujours compatibles ! A l’inverse de ce qui se passe chez la griffe Costume National, laquelle retrouve un nouveau souffle après l’exploration douteuse de designs darks. Sur-représenté sans être de bonne augure, le manteau foncé serait-il le nouveau chat noir de la mode ?
Evidemment, l’hiver est la saison privilégiée pour les mailles, sweats ou vestes épaisses. Iceberg dessine de jolis motifs colorés sur un douillet blouson de laine, lorsque Moncler les fait fusionner en une veste prince de galle et rayures fines. Le sweat, vu par une marque montante à Milan, Philipp Plein, sera taillé dans un cuir très travaillé, surpiqué aux épaules et côtelé aux extrémités pour un esprit « rider » puissant. A l’inverse, la douceur du mélange laine et cachemire de Ferragamo valorise un bleu pétrole profond, même si cette belle pièce n’est pas représentative d’une collection autrement très moyenne, perdue dans des volumes et des superpositions décevants.
Enfin, il était impensable de résumer Milan sans évoquer les matières nobles adulées par les italiens. Brioni joue la facilité en partant sur une somptueuse peau de crocodile pour tailler un trench intensément luxueux, sans surprise. Dsquared2 fêtait ses 20 ans… 20 années d’atrocités sans nom et de vulgarité ridicule. Au summum d’un style bling bling détestable et inesthétique au possible, un énorme manteau en renard porté sur une chemise noire et un jean ajusté, délavé, et troué. Et comment ne pas trouver pathétique la « mode » des deux jumeaux insupportables quand, à côté, des Maisons comme Etro savent concevoir des collections certes bariolées, mais toujours raffinées même dans l’utilisation du paisley ? C’est impossible, surtout à la vision de cette stupéfiante veste en poulain imprimé, difficilement portable mais fascinante par sa position charnière entre racines de la marque et innovation dans le traitement de la matière. Marni surprend aussi à ce sujet, réalisant un pull en patchwork de fourrure sans doute trop massif, mais superbement fabriqué.
Focus on…
D’autres Maisons m’ont fait réagir davantage : elles impressionnent, elles questionnent ou elles déçoivent et méritent un review ! Focus sur ces défilés les plus marquants de la fashion week !
Les tops
Dolce & Gabbana
Amore per siempre : l’heureux hasard de ce message de paix et d’amour a immédiatement sauté aux yeux. Et au fond, en dépit de collections parfois bien ratées, on peut au moins reconnaitre aux deux designers italiens d’oeuvrer de bon coeur pour leur mode. La scénographie illustre à merveille le message, avec cette fresque humaine d’une grande famille. La sincérité de leur démarche et leur persévérance finissent par payer : cette collection est la plus réussie présentée depuis fort longtemps par le duo ritalo-rital.
Dès les premiers looks, la magie opère… Il y a d’abord ces T-shirts, devenus emblèmes du vestiaire Dolce & Gabbana, confectionnés dans une soie nitescente forcément légère, bardés d’anciens portraits de famille peints. La réalisation est irréprochable, conférant à cette pièce aux épaules magistralement dessinées un raffinement et un confort alléchants. Soulignons les bottes lacées d’inspiration militaire, élégantes bien que rustiques à souhait. Ce genre de twist est légion : les sweatshirts complètent la gamme casual de cette collection dans une dualité parfaite entre l’allure sportive et la noblesse de broderies dorées ou argentées. Un excellent travail tant dans la conception que la réalisation.
Avec plus de parcimonie que certains, Dolce & Gabbana intègrent malgré tout la fourrure à ce défilé, notamment d’agneau, dans des coupes simples : manteau long à large col duveteux, blouson zippé ou encore caban à poches à rabats. L’originalité vient davantage des couleurs, hivernales mais parées d’une jolie brillance propre aux fourrures. Les teintes vertes révèlent toutes leur nuances smaragdines si précieuses, quand un rouge carmin impose délicatement sa chaleur au milieu de teintes froides. Les pantalons en flanelle ou jersey de laine n’ont pas la prétention d’être révolutionnaires, simplement d’être bien taillés, ce qui reste une excellente chose. On ne saurait dire, finalement, si ce qui nous ravit est l’audace, ou bien la simplicité de toutes ces belles choses !
Enfin une collection Dolce & Gabbana ne serait rien sans tailoring, et si parfois le résultat laissait à désirer, là on ne peut qu’apprécier le spectacle. Ces complets 3 pièces sur lesquels sont brodés de flavescentes abeilles et couronnes régalent de leur coupe cintrée et de leurs inspirations aristos, voire monarchiques. Confirmant ce qui a été vu à Londres, les blazers en velours présentent des revers contrastants, notamment l’un dans une matières synthétique surpiquée façon matelassage, détail que l’on retrouve au niveau des poches. De belles coupes, un style racé mais élégant : quelle belle démonstration !
Cette collection nous ravit par son raffinement : puisant dans l’Histoire les détails emblématiques de figures nobles, Domenico Dolce et Stefano Gabbana ont construit une signature remarquable. Les voilà, apparemment, arrivés à ce point d’équilibre extrêmement subtil au carrefour de l’audace, de l’élégance et d’une identité unique et affirmée. Bravo à eux !
Giorgio Armani
Après toutes ces années à faire de la (vraie) mode, Giorgio Armani, du haut de ses 80 ans, est toujours en forme à en juger par son dernier défilé. Celui qui a commencé sa carrière comme vendeur dans un grand magasin à Milan laissera une trace indélébile dans le paysage de la mode masculine, et continue même encore à expérimenter de nouvelles choses…
Il est l’un des plus grand théoriciens de l’élégance décontractée : l’ADN d’Armani en fait un alchimiste alliant à souhait raffinement et esprit casual. Ces mailles bi colores dessinent des motifs angulaires grâce au tricotage côtelé et se marient à merveille avec ces pantalons très fluides en soie mélangée. Même travail sur la structure de la maille avec un gilet zippé en alvéole, très casual et en même temps très technique. Le velours marque une pause en imposant un noir d’une intensité rare, dont on ne saurait voir le fond, juste paré de quelques boutons métalliques brillants, métaphoriquement comparables à des étoiles dans un ciel sombre. La description est lyrique, mais le vêtement est véritablement inspirant, d’autant plus que le rythme lent du défilé, les binômes et le choix de mannequins que l’on n’a pas l’habitude de voir construit un univers spécifique aux lignes Armani.
Formé chez Cerruti, le designer italien a su maîtriser les bases du métier de tailleur, pour prendre quelques libertés par la suite. Ses costumes, hésitant perpétuellement entre un esprit « relax » et une solennité vespérale, sont boutonnés extrêmement haut, créants de petits revers que l’on pourrait comparer à des décolletés en version masculine. Parfois aussi, le haut de costume ne sait plus très bien s’il est veste ou manteau : voyez ces deux modèles à poches boutonnées, taillés dans un tweed épais et déroutant. Les couleurs demeurent neutres et naturelles, dominées sans surprise par des nuances de bleu presque mystérieuses.
Plus qu’une tendance, un plébiscite : la peau retournée s’invite aussi chez Armani, mais dans un vert pin sensationnel et très lumineux. La dense fourrure du mouton ourle les bords avec douceur, et on remarquera d’ailleurs que cette pièce n’est que courbes. A l’opposé, on trouve un blouson à col officier sur lequel l’alternance de rectangles de feutre et de cuir finement perforé génère un faux relief captivant, témoignant là aussi du savoir-faire attaché à la première ligne de l’empire Armani. Une dernière peau lainée, à l’aspect velours très travaillé sur l’extérieur, dévoile une très douce fourrure d’agneau à l’intérieur : ces deux textures aux doux reflets donnent, à première vue, l’impression d’une pièce double face. Bien joué…
Le nombre vertigineux des défilés présentés par le créateur (l’un des rares à ne pas usurper ce titre) ne semble pas altérer son talent, loin de là. Lui et son équipe réussissent à entretenir une schizophrénie salvatrice grâce à laquelle innovation et tradition cohabitent parfaitement. Chaque saison, le style Giorgio Armani se reconnait, mais ne lasse pas, en plus d’offrir une réelle qualité de Luxe à ses clients. Pour tout cela, la ligne Giorgio Armani est une valeur sûre méritant louanges.
Fendi
La ligne homme de Fendi est longtemps restée au 2nd voire au 3ème plan, le savoir-faire fourreur de la maison concentrant tous ses efforts sur la femme. Boom du marché de la mode masculine obligeant, la marque se réveille depuis quelques saisons, proposant des collections homme avec, désormais, leur propre identité.
C’est de manteaux qu’il est principalement question : leur nombre impressionnant ne laisse presque pas de place pour le reste, si ce n’est cet incroyable pull. Basique en haut, il se voit progressivement greffé d’une fourrure aux reflets dorés avec un effet de fondu extrêmement technique. Le pantalon à plis très classique qui lui est assorti suffit amplement puisque le haut focalise toute l’attention de toute façon. Les premiers manteaux, quant à eux, marquent la présence d’une fourrure bien plus discrète que de coutume chez Fendi : rasées, elles deviennent beaucoup moins ostentatoires. Et, encore une fois, le noir n’est pas gênant lorsqu’il teinte de telles matières captant naturellement la lumière.
Le suédé n’est, semble-t-il, plus l’apanage de l’été : ce splendide pardessus en est la preuve. Sa double face intérieure en agneau plongé le rigidifie légèrement sans que ce ne soit dommageable : cela lui apporte même une certaine structure masculine. De façon plus anecdotique, le cuir apparait aussi en application sur l’épaule et en guise de poche sur un manteau d’une teinte rouillée chaude et agréable. Le contraste de matière qui se créé lui confère un côté légèrement arty, dans l’esprit d’une pièce que l’on aurait construite et rapiécée. Un autre, encore, annonce les véritables pièces maitresses : les morceaux de fourrure aux teintes très sombres suggèrent un assemblage géométrique, là encore très technique, mais le meilleur reste à venir…
En effet la pièce à retenir de cette collection est bien ce blouson clin d’oeil au masque « peekaboo » récurrent chez Fendi. Ainsi, une multitudes de pièces en cuir velours dessinent-elles un visage dont les détails sont permis grâce à l’application de patchs en fourrure. Un travail d’orfèvre, magnifiquement exécuté et récurrent : certains looks en velours côtelés se révèlent être, en réalité, du mouton retourné et strillé. L’esprit patchwork est repris sur un autre blouson de fourrure mais surtout de manière très originale sur une doudoune. Des empiècements mâtelassés géomètriques s’imbriquent pour un look tout à fait singulier, dont l’esprit sera repris sur le pantalon.
On l’a compris, Fendi a su s’imposer sur la scène milanaise comme une référence incontournable de la mode masculine. Grâce à quoi ? Et bien, c’est toujours la même chose : grâce au savoir-faire. Il est en effet bien plus facile de gagner rapidement de la crédibilité lorsque l’on est capable de produire des pièces d’exceptions. Il n’y a pas à chercher plus loin, et si le marketing aide, le travail artisanal n’a pas son pareil pour susciter l’émerveillement… Made in Italy.
Les bofs
Versace
Tâche ardue que celle consistant à déterminer si le défilé Versace était top ou bof. Revirement de la jurisprudence stylistique de la Maison italienne, cette collection troque ses imprimés baroques et pantalons ajourés presque obscènes pour s’orienter vers plus de sobriété et plus de douceur. Entre réalisations irréprochables et styles douteux, ma plume balance…
Les premiers looks annoncent la nouvelle tonalité de l’homme Versace, débarrassé de toutes ces parures bling et autre couleurs criardes. Les vestes de costumes aux larges revers en pointe se ferment par un clips de métal, créant une asymétrie élégante et efficace. Pas d’exubérance non plus en bas, puisque les pantalons arrêtés au dessus des chevilles (la fameuse coupe feu de plancher) ne tranchent pas (ou peu) avec le haut. Un ensemble se fait remarquer pour sa texture soyeuse, parant la tenue d’une brillance métallique semblable à celle d’une armure en acier. La légèreté de la matière adoucit la silhouette d’une façon déjà maintes fois exploitée, mais toujours aussi efficace.
Au coeur du défilé se trouve l’objet de la discorde. Versace a toujours véhiculé l’image d’un homme extrêmement puissant, parfois carrément phallique, en continuité des inspirations grecques chères à Gianni Versace. Et finalement, dans ce qui a toujours été de l’ordre de l’excès voire de la pornographie, il y avait un fil rouge, un repère, une signature. Voilà pourquoi ces leggings ultra féminins, supra moulants et en cachemire, font tâche sous des sweats trop longs semblables à des minirobes. Les hoodies, eux aussi en cachemire, parfois doublés de fourrure, sont exceptionnels, de même que ces sneakers que l’on dirait façonnées par d’authentiques bottiers. Mais l’ensemble ne fonctionne pas, et on aurait préféré que Donatella et son équipe ne brisent pas l’étrange sentiment de « calme » et d’apaisement – si je puis m’exprimer ainsi – signants le reste de la collection.
Le travail des inévitables manteaux très longs atteste pourtant d’une capacité certaine à équilibrer opulence et élégance. De somptueux draps de laine et cachemire dessinent une silhouette imposante, mais surtout lumineuse grâce à des teintes crémeuses. Même le noir profite de reflets soyeux. La fourrure posée sur les cols anoblit encore ces pardessus aussi à l’aise sur un costume que sur une maille et un jean décontractés. La touche finale est apportée par les boutons de métal flavescents, gravés d’une medusa, incarnant le petit détail clinquant et reconnaissable. Simple mais excellent, ni plus ni moins, tant au niveau du style que la réalisation hautement qualitative et raffinée.
Versace est en train de changer, on le voit tant chez la femme que chez l’homme, et ce qui se profile pourrait être extrêmement intéressant. Toujours certains choix artistiques assez frustrants, qui entachent un joli travail, du reste, mais plus que jamais Versace peut se féliciter d’avoir protégé farouchement ses savoirs-faire, ses ateliers et ses artisans… car quels que soient les inspirations ou les choix de la direction artistique, ils seront toujours réalisés à la perfection, ce qui permet une réactivité exceptionnelle. Donc, si l’on fait le bilan, un Bof + prometteur pour Versace.
Gucci
Le défilé Gucci a retenu toute l’attention de la presse internationale, des acheteurs, des clients… de tout le monde ! Frida Giannini ayant prématurément quitté ses fonctions, il aurait été possible, comme ce fut le cas chez Dior après l’affaire Galliano, de faire défiler malgré tout la dernière collection de la maestra sans elle. Mais la nouvelle direction voyait les choses d’une autre façon, et a demandé à Alessandro Michele, nouveau D.A et ancien assistant de Giannini, de revoir toute la collection pour amorcer une nouvelle ère Gucci. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’effectivement, l’homme Gucci s’est, déjà, profondément métamorphosé.
A commencer par les mannequins : les hommes secs mais dessinés ont été remplacés par des modèles quasi prépubères et anorexiques, arborants cette pathétique moue de gamins insatisfaits ou malades. Agaçant, dès les premières secondes. Il fallait bien trouver un casting cohérent avec le nouvel esprit androgyne de l’homme Gucci. Les références à la féminité sont innombrables : tops à manches longues en soie rouge, lavallières massives ou, carrément, dentelle transparente rouge rubis rebrodée de motifs floraux. Les pantalons évoquent de lointains vestiges de masculinité, amples et sans réelle saveur.
Souvent par le passé, la Maison italienne nous a enchanté grâce à ses silhouettes « dandyesques », superbement taillées par les ateliers de Zegna. L’esprit des 70’s demeure présent dans les couleurs des costumes, mais la coupe fait beaucoup moins rêver, en revanche. Sans aller jusqu’à parler d’approximation, ces pantalons patauds et ces paddings peu harmonieux corroborent l’impression d’un travail réalisé en vitesse à la dernière minute. Une médiocrité gênante.
En alternance de mannequins homme, et pour la première fois, des femmes ont foulé le podium de ce défilé masculin, elles habillées comme des garçons, avec des manteaux rigides et droits. Le contraste entre ces garçonnes masculines et ces gamins androgynes, habillés pour certains d’une petite veste tailleur femme (littéralement loupée aux emmanchures), est alors saisissant. Il questionne sur la frontière entre codes féminins et masculins, mille fois mieux que ne tente lamentablement de le faire Prada (à voir plus bas). Néanmoins, ces silhouettes étriquées, cette cape au col en fourrure découvrant une autre lavallière sont purement inappropriées.
Gucci, c’était un style dandy assumé et porté par une confection très qualitative. Sans usurpations, sans esbroufe, et avec un talent indéniable, Giannini concevait un vestiaire à la fois moderne par les matières et rétro dans les inspirations 70’s. Un travail abouti et une cohérence que l’on ne trouvait nulle part ailleurs. Et puis maintenant, cette version fade d’un homme à peine plus viril qu’un garçonnet, fragile et fluet, assez détestable, et une collection qui ne convainc pas du tout. Alors, plus flop que bof ? Ce qui sauve Alessandro Michele est la grande honnêteté de son travail. Remplaçant au pied levé la meilleure directrice artistique que la Maison ait eu, il a su faire une proposition alternative en allant jusqu’au bout, sans pour autant se détacher complètement de l’esprit rétro et si poétique de Gucci. Pour cela, le nouveau DA mérite au moins qu’on lui laisse la chance d’aller plus loin, de trouver ses marques.
Les flops
Roberto Cavalli
La Maison florentine se retrouve traumatisée ces temps-ci par un brouhaha financier inaudible. Pourparlers interminables, annonce de rachat puis finalement projet qui tombe à l’eau : l’avenir de dessine dans le flou pour cette belle marque que son créateur tente de revendre. Cela se ressent dans les collections masculines, dont les ambitions commerciales semblent prendre le pas sur l’habituelle créativité caractérisant Roberto Cavalli. Les premières silhouettes véhiculent des messages, inscrits sur des bandes de tissus grossièrement rajoutées aux vêtements. Il s’agirait là d’une décision de dernière minute, et à en juger par les mots « empathy » et « no bounds », sans doute peut-on établir un lien avec les récents évènements survenus à Paris, relançant nombre d’interrogations autour du concept politique de la liberté. Mais les vêtements sont-ils le meilleur vecteur de ce genre d’interrogations ? Pas si sûr. D’autant plus que l’ultra dominance du noir et la relative simplicité des pulls présentés n’interpellent pas particulièrement.
Il y a bien quelques « pièces virtuoses » pourrait-on dire, renvoyant à l’histoire extrêmement glorieuse, d’un point de vue artisanal, de la Maison Cavalli. Ce blazer inspiré d’un spencer brodé, ou encore ce cuir aux superbes motifs cloutés rassurent : la réalisation demeure excellente, et l’audace des clous ou des perles se conjugue parfaitement avec la « sobriété du noir ». Même chose pour cette imposante cape en drap de laine parsemée de motifs baroques en fourrure rasée, faisant osciller le regard entre aspect mât du drap et brillance naturelle des empiècements en peau. Typiquement Cavalli, ancré dans cet esprit un brin rock n roll qu’il affectionne tout particulièrement.
Et puis au delà de tout cela, il y a tout de même quelques pièces que l’on se verrait porter, comme ce gilet bi matière en peau retournée et laine, cintré juste ce qu’il faut et évidemment confortable à souhait. Les blazers de smoking ravissent par leur belle réalisation et leurs détails, notamment l’un donc le col est bordé de peau de python ton sur ton : un petit plus luxueux qui vient dessiner le col sans ostentation.
Mais si l’on trouve de bonnes choses dans cette collection, c’est bien péniblement. Beaucoup trop de noir, assez peu de pièces travaillées, et une majorité de looks fades, déjà vus et loin d’être irréprochables. L’été 2015, déjà, m’avait beaucoup déçu pour son ostentation facile et grossière… La ligne masculine de Cavalli, récemment revenue sur les podiums, est clairement à la peine et semble avoir souffert du départ de Daniele Cavalli, le fils de l’illustre créateur ayant réalisé d’époustouflantes collections comme celle de l’été 2013. Il faut une immense rigueur pour proposer à la fois un style audacieux coupé dans des matières exceptionnelles et en même temps des pièces qui demeurent portables et intégrables dans un vestiaire « hors podium ». Cette rigueur semble un peu perdue, et on ne peut qu’espérer son retour rapidement.
Prada
Prada n’a pas son pareil pour créer des ambiances extraordinaires durant ses défilés, parvenant à immerger le spectateur dans des univers parallèles, futuristes, étranges, et déroutants. S’il s’agissait d’apporter un regard critique sur la scénographie des défilés en général – ce qui ne manquerait pas d’intérêt – alors Prada occuperait une place de choix pour l’extrême et puissante sophistication de ses créations. Quel dommage, lorsque l’on en vient à ce qui se passe sur le podium, qu’il n’en soit pas de même.
Le discours conçu pour évoquer la collection fait état d’une sorte de « jeu » autour de la notions de genre, de questionnement sur la frontière entre le style de l’homme et celui de la femme. Un bla bla turbide n’ayant pour autre objectif la justification de la présence en nombre de modèles féminins sur ce qui est censé être une collection masculine. La belle affaire ! Pour ce qu’il en reste, on remarquera donc dans cette collection « homme » de nombreux pardessus en coupe croisée ou simple, taillés dans des toiles d’un beau gris acier. Chemise à col italien ou tunique ceinturée pour accompagner, et voilà quelques looks clés.
Le nylon reviendra régulièrement cette saison, référence aux débuts de Miuccia Prada à la direction artistique de la compagnie familiale. Un travail très intéressant qui n’a pas pris une ride, et qui fonctionne toujours aussi bien. La rigidité et la brillance très artificielle de la matière injectent dans une tenue cette touche techno et industrielle remarquable. Pour le reste, maille à manches courtes au dessus du coude, pantalons en flanelle ajustés, pardessus basique porté sur une chemise bleu marine.
Mise à part, encore une fois, la présence d’un costume croisé en nylon au rendu très intéressant, le reste de la partie tailleur du défilé n’est pas transcendante. Les coupes ajustées sont assez élégantes et la réalisation semble bonne… Mais ce n’est pas suffisant. Miuccia Prada s’imagine que pour « en imposer » et être prise au sérieux, il faut donner l’illusion d’une mode intello, sévère, purement agelaste. Ses podiums magistraux et ses musiques étranges font leur job, mais sortis de cet univers savamment construit, que reste-t-il ? Rien, absolument rien. Les discours abstrus n’impressionnent plus, et s’ils donnent quelques billes à des « journalistes » pour rédiger des articles docilement élogieux, jamais les mots ne confèreront à un vêtement une profondeur, un sens qu’il n’a pas. Quel dommage, quel gâchis.
Je me suis rendu la semaine dernière au flagship de l’avenue Montaigne pour jeter un coup d’oeil à la collection été, et comme d’habitude l’impression est la même : celle, très désagréable, d’être pris pour le genre de client imbécile qui dépenserait 2500€ dans un pardessus en coton à peine bien taillé, non doublé et sans la moindre trace de quoi que ce soit de luxueux. Ce n’est pas la première fois que j’évoque ce qui n’est qu’une utilisation usurpée du terme de « Maison de Luxe », et je m’étonnerai toujours de l’engouement que peut susciter une marque finalement très creuse ces temps-ci. Ah, on me signale que le chiffre d’affaire de la Maison recule dramatiquement au 4ème trimestre 2014. Ça par exemple !
Bottega Veneta
L’été 2015 avait inspiré à Maier une superbe collection mêlant univers de la danse et inspirations urbaines. Le coup de grâce n’aura pas duré. Les critiques émises au sujet de son travail semblent pourtant plus proches de la dithyrambe que de la diatribe, mais qu’importe : voyons en quoi le travail de Maier apparait comme particulièrement mauvais.
Cela saute aux yeux, n’est ce pas ? Ce violet surnaturel, parfaitement inapproprié et absurdement criard. On ne parlera même pas de son association à d’autres couleurs inadaptées, car l’assemblage de couleurs répond tout de même à certaines règles indispensables pour créer « l’harmonie ». En ce qui concerne les matières, le velours côtelé « corduroy » s’inscrit dans la tendance de l’hiver 2016, avec en revanche une approximation toute particulière. Cette veste anthracite semble défraîchie, la matière a une tenue abominable : cela n’a, tout simplement aucune allure. Peut-on imaginer pire qualificatif pour un vêtement ?
Passables mais sans plus, les costumes ont le mérite d’être pourvus de superbes cols. La coupe croisée d’une veste en tweed à chevrons fonctionne bien, même si l’amplitude laxiste du pantalon ne sert pas la noblesse du haut. Les accessoires sauvent un peu la mise, jouant sur les matières flatteuses comme le crocodile. Les souliers jouissent aussi d’une réalisation parfaite, sans que cela soit étonnant : Bottega Veneta est historiquement un maroquinier.
Summum de la disgrâce, ces jeans encore une fois trop larges, et surtout délavés n’importe comment. Les épaules des manteaux ne sont pas nettes voire tombantes : cela en devient risible. Peut-on décemment parler d’effet de style lorsque l’on est face à des vêtements indignes d’une friperie ? Est-il normal de vendre des centaines d’euros des pièces que l’on dirait vulgairement fabriquées sans aucun soin, et surtout sans aucune trace, même infime, de luxe ? On voudrait nous faire croire qu’il s’agit là d’une démarche volontaire et très construite d’une « nonchalance » sophistiquée ? Si le but est effectivement de faire de vieilles frusques difformes : félicitations, c’est un succès. Mais elles ne vaudront certainement pas le prix que la marque voudra leur donner.
Cette collection, parmi d’autres, nous démontre que Bottega Veneta et Maier ne sont tout simplement pas doués pour faire des vêtements de luxe, et qu’ils feraient mieux de se concentrer sur leur coeur de métier : la maroquinerie. Il y a bien assez de médiocrité dans le luxe à l’heure, inutile d’en rajouter !
Cet article a été écrit par Romain Rousseau pour Modissimo - Blog Mode Homme & Magazine Luxe : Autunno Inverno 2015-16 : du meilleur au pire de la fashion week homme de Milan.